Imprimer

En Andorre, on trouve de l'alcool pas cher... certes, mais pas que.

Il y a aussi des montagnes et il se trouve que pour la troisième année, il y a aussi une manifestation qui s'appelle Andorra Ultra Trail qui gagne serieusement à être connu pour ceux qui aime le trail en montagne...

missing image

 

Potion magique pour traileur averti, le nom est dejà tout un programme :-)

Participants : Fredo 

La manifestation Andorra Ultra Trail à Ordino (1280m) en Andorre est donc composée de 4 courses : Trail (35km et 2500m de D+), Celestrail (83km et 5000m de D+), Ultra Mitic (112km et 9700m de D+) et Ronda del Cims (170km et 13000m de D+). J'etais donc inscrit sur la Celestrail avec 2 camarades du club de triathlon, mais les 2 étant blessés, je suis parti vendredi matin seul avec pour tout bagage mon nécessaire de course, une tente, un tapis de sol et un duvet... en avant !

L'idée de depart au moment de m'inscrire était de faire une répetition générale des conditions de la diagonale des fous à la Réunion en Octobre où je suis également inscrit (et là franchement j'avai besoin de me rassurer un peu sur ma capacité à aborder pareille épreuve...). Je recherchais donc sur une distance que je connais (entre 70 et 90 km) une course réputée très technique et j'y allais pour me "tester" en conditions équivalentes. Un ami me conseille la celestrail comme étant ce qui se fait de plus technique et difficile a sa connaissance dans les parages. Renseignements pris, en effet. J'avais même appris que Lulu, une figure historique et émérite du club de triathlon, multiple finisher à plus de 50 ans de l'UTMB et la Diagonale des fous a jeté l'éponge l'an dernier sur la version longue (Ronda)... ouh en effet, çà promet. Bon go, on y va.

Voiture d'une traite depuis bordeaux, récuperation dossard, puis 2-3 heures à se reposer dans la voiture, puis je vais assister au briefing et manger un sandwich. La conclusion du briefing met dans l'ambiance par une citation de Guus Smit (coureur d'ultrafond mort d'une chute sur le grand raid de la Réunion en 2002) : "courir un peu, c'est bien; courir beaucoup, c'est mieux; courir trop, c'est le meilleur"

Bon configuration grand raid donc pour me ramener sur la ligne de départ, à savoir test de camel avec juste de l'eau et un mélange maison sucre + sel de cuisine, plutot que des sachets de poudre malto (avec un petit récipient pour les recharges), ma nouvelle frontale Petzl RXP, et je pars avec une paire de chaussettes de rechange et surtout sans les bâtons qui sont interdits à la Réunion (c'est ma première course sans bâtons pour le coup)... d'ailleurs je suis quasiment le seul sans les bâtons et çà étonne les gens autour de moi... départ dans 15 min, on entre dans le sas. Et alors que j'ai jamais gagné un tirage au sort de loterie sur toutes les courses que j'ai fait, on appelle mon nom. 3 dossards tirés au sort pour vérification du matos obligatoire... Pas de souci donc. On nous annonce 300 au départ et quelques pointures de la discipline sont là (Julien Jorro chez les hommes, Virginie Govignon chez les femmes)

missing image

  vue depuis la ligne de depart juste avant de partir, ciel menacant mais pas pire

Le départ est donné vendredi à 21h pétantes au son d'une musique d'opéra retentissante... j'adore les frissons de ces moments de libération. J'ai recu quelques SMS d'encouragement et me sens bien. On attaque doucement avec 3km a peu près plat pour sortir de la ville... Il y a plein de monde aux fenêtres, on nous acclame comme un départ d'UTMB, c'est chaleureux. Le soleil se couche et très vite, on attaque la première montée, c'est très raide  et on en a pour 1200m de D+ pour atteindre le pic del Clot delCavall (2612m), je me cale sur mon rythme de montée habituel (entre 500 et 600m de D+/h) alors que j'ai pas de batons et je sens que çà me coute sensiblement plus qu'avec... qui plus est, plus on monte et plus, ce qui etait un large chemin en bas se transforme en une "idée" de chemin. On suit un balisage parfait de fanions et de rubalises mais on est de plus en plus dans la caillasse, les pierriers et même les névés en arrivant sous le col ... d'ailleurs en fait, c'est même pas vraiment un col, mais plutot une crete rocheuse que l'on atteint de face dans le brouillard et le vent (au ressenti on doit etre autour de 0°C, j'ai sorti le coupe-vent et les gants de soie). Bref, on s'éternise pas au point culminant de la course et on tire sur la gauche en suivant cette "arête" de 2m de large avec du vide des 2 côtés. Cà met dans l'ambiance et j'entends plusieurs coureurs autour de moi dire qu'ils ont des débuts de crampes aux mollets alors qu'on n'est qu'au km 12...

missing image

Premiere grosse montée, la nuit tombe

On descend plein fer dans une descente sans chemin en suivant les fanions qui sont équipés d'une petite balise rouge émettant des petits flashs lumineux, parfait pour pas se perdre dans le brouillard. La descente est très raide et parsemée de très nombreuses racines avec un peu de boue de ci-delà, je ne chute qu'une fois. On finit par rejoindre un chemin étroit, la pente se calme et çà deroule bien au niveau de la foulée, je discute avec 2-3 camarades d'aventure dans la lumière des frontales, on voit arriver le premier ravito (km 17) d'assez loin car ils ont fait un grand feu devant le refuge, c'est sympa avant d'attaquer la seconde montée, la signalisation de séparation des parcours (beaucoup de portions sont communes à 2, 3 voire les 4 courses) est très très claire. Avant le rejoindre le pied du second raidard, on passe par quelques portions bien techniques, surtout de nuit, quelques ressauts rocheux où il faut mettre les mains pour monter, une traversée de rivière en équilibre sur un simple tronc d'arbre (j'ai bien sûr fini dans la rivière jusqu'à mi-mollet). Cà se raidit encore fort et on attaque la seconde montée de 600m de D+, et là plus du tout de chemin, que du pierrier plus ou moins gros... au 2/3 de la montée au km 22, on a un ravito dans le refuge du Pla de l'Estany. J'ai les mollets qui chauffent et surtout je commence a avoir un peu la tête qui tourne et les yeux qui se ferment alors qu'il n'est que 1h56 (près de 5h de course), je doit me poser. Je m'assois, prend le temps de siroter un café. Je mange un peu, mais pas trop mon estomac m'envoyant des signaux inquiétants... je discute avec un gars à côté de moi, il va abandonner. Je m'interroge sérieusement sur ma capacité à repartir car en seulement 22km, j'ai a peu près les mêmes sensations de vertige et de douleurs physiques qu'au bout de 50km sur la TDS au Mont Blanc où j'ai abandonné l'an passé au bout de 89km (juste avant que la douleur vive au tibia se reveille)... bref, dans la tête c'est pas fun ! Après 15min, je re-remplis mon camel avec de l'eau pétillante et salée (pour essayer de caler l'estomac). J'ai décidé de repartir, l'idée qui me donne l'impulsion pour repartir est finalement simplement de vouloir voir le soleil se lever sur la montagne... et l'espoir que tout le parcours ne sera pas aussi dur. Je me dis qu'en effet la course mérite sa réputation.

La fin de la seconde montée est un calvaire, je dois m'arrêter au moins 3 ou 4 fois sur 200m de D+, mais je finis par atteindre la Portella de Sanfons (km 24, 2592m) et bascule de l'autre côté, la descente est un mix de petit pierrier et de chemin, globalement pas trop dure à courir, mais je descends en marchant car il faut absolument que je récupère des points de vie si je veux voir la ligne d'arrivée. Je prends mon temps et petit à petit mes forces reviennent et je me remet à courir peu avant le ravito suivant du Col de la Botella (km 28) que j'atteins à 3h47 et où je vois encore plusieurs coureurs à bout de forces jeter l'éponge. Je mange de façon plus conséquente, reprend un café. Plusieurs fois dans la nuit, au détour d'une clairière ou d'un petit col qui peut se monter en voiture, on trouve un petit groupe de personne hors organisation venus simplement pour encourager chaleureusement les coureurs... franchement j'avais encore jamais vu çà et ce côté à la fois improbables et chaleureux de ces sourires et de ces mots dans la nuit noire et l'isolement a un effet incroyable Sourire. Je me dis que les coups durs finissent toujours par passer et je repars dans la nuit à la lumière puissante de ma nouvelle frontale. Une descente bien longue et encore bien technique en chemin s'ensuit et nous fait perdre plus de 1000m d'altitude. Je la fais quasiment toute en marchant, sauf les replats, ne préferant pas prendre le moindre risque et en voulant m'économiser. vers 4h30 - 5h, il se met a pleuvoir, çà use mentalement, celà s'arretera vers 6h. entre 5h et 6h (où le jour se lève), j'attrape un méchant retour de manivelle sur la sortie de nuit... mes yeux se ferment et comme il y a pas mal de boue et de traversée de ruisseaux, je me retrouve régulierement les pieds dans l'eau sur cette portion. En conséquence, des ampoules commencent à apparaitre sous mes pieds et aux talons... le jour se lève presque quand je sors de la foret  et tombe sur 150m de bitume (sensation étrange sur le coup), puis on rejoint un large chemin presque plat qui nous ramene près de la ville d'Escaldes qu'un bénévole m'annonce à 5km et où est situé la base de vie de mi-parcours. Je suis deçu de ne pas voir le soleil se lever depuis un point d'altitude, mais au fond d'un village sans perspective dans une vallée encaissée... mais bon de toute façon, j'ai plus qu'une seule idée en tête, c'est la base de vie à rallier. J'arrive enfin à Escaldes au batiment Grand Prat (km 44) à 6h45. Je fais une grosse pause d'environ 40-45 min, toilettes, massage des mollets, manger, boire, changer de chaussettes (pas eu besoin du sac relais), s'étirer...

missing image

  Petite balade bucolique...

En repartant j'ai retrouvé la patate, j'ai mal nulle part à l'exception des ampoules (mais la douleur est gérable), du coup j'attaque plein fer la troisième grosse ascension du col Jovell et avale les 600m de D+ en moins d'1h30. on rejoint une vire de 50cm de large à flanc de falaise avec environ 300m de vide en dessous, les paysages sont grandioses, mais vaut mieux pas avoir le vertige. La descente est très roulante, je lache les watts et me remets à courir sur un bon rythme en me disant que sur le grand raid faudra être plus tempéré... le jour m'a regonflé d'énergie. Le troisième quart de la course est souvent pas trop technique, donc je cours beaucoup... mais un truc que j'avais pas réalisé et que je commence à bien sentir en arrivant au ravito des Pardines (km 55) vers 9h, mes cuisses fument à courir en descente sans les bâtons pour amortir les impacts... Je recharge le camel, prend une soupe, quelques morceaux de jambon de montagne (miam) et repart.

  missing image

Des vues superbes sur les montagnes andorranes

Je continue quand même en courant dans la descente jusqu'au village de Canillo (km 60) que j'atteins à 10h36. Le soleil étant bien présent maintenant, il commence à faire très chaud et j'ai de plus en plus mal sur le dessus des cuisses. Pour les ampoules, c'est douloureux, mais çà s'aggrave pas trop en ayant changé de chaussettes. Cà remonte ensuite, on atteint encore plusieurs passages rocheux ou faut mettre les mains, et une seconde vire étroite surplombant le vide avec quelques passages équipés de chaines là où c'est le plus exposé... vraiment des paysages montagnes superbes, mais vaut mieux avec la fatigue avoir à la base le pied sûr et avoir un peu l'habitude de la montagne et pas seulement être coureur. Mes dessus de cuisses hurlent et je me promets de ne surtout pas bourriner dans les descentes sans bâtons sur le grand raid sinon c'est sur que je verrais pas la ligne d'arrivée. Bon j'ai plus le courage de courir, çà tombe bien on attaque l'avant dernière montée, courte (300m de D+), mais çà monte là encore très très raide (en tendant les mains devant moi, je touche pratiquement le sol...), je suis obligé de tenir mes cuisses avec mes mains et d'accompagner le mouvement en poussant sur les bras et il fait maintenant très chaud... par contre le paysage en reprenant de la hauteur est superbe. Le col de la Cauba (1908m, km 65) est atteint et je dois m'arreter plus d'une minute en haut pour reprendre mon souffle.

 

missing image

  On passe vraiment par des endroits surprenants...

  missing image

 Ambiance

3km de montagnes russes 100% en marchant pour rejoindre le ravito suivant d'Armiana (km 68), puis 300m de bitume et on est au pied de la dernière montée du Col d'Arenes, 5km pour gagner 700m de D+, col très irrégulier avec des replats et de vrais murs à pousser sur les cuisses avec les bras... je me traine, je me répete "mon royaume pour une paire de batons"... Je fais des pauses tous les 200m, mes cuisses hurlent. Enfin à 14h21, j'atteins le col d'Arenes (2540m, km 73). Je reprends mon souffle au moins 3-4 min au col et mange quelques bricoles sur ce dernier ravito. Les bénévoles comme à chaque fois sur tout le parcours sont adorables et aux petits soins... un grand chapeau à toute l'organisation.


missing image

missing image
 

 

Le col d'Arnes m'a tué... mais les chevaux en estive s'en foutent

Bon il ne reste donc plus 10km de descente avant l'arrivée, en descendant en marchant tout doucement à 3km/h et avec des pauses, çà va faire 4h de galére... pffff. Du col, on voit le tracé sur plusieurs km, sur la dizaine de concurrents visibles devant moi, pas un seul ne court... on est tous cassés. Bon je commence doucement la descente en marchant en serrant les dents. au bout de 3km environ, peu après être rentré dans la foret, un gars me double en courant (enfin genre à 7km/h), du coup çà me met une piqure d'orgueil et j'essaye de me convaincre que la douleur n'existe que dans ma tête et que comme je n'ai aucune douleur aux articulations, je peux essayer de faire violence aux muscles... j'essaye en m'y reprenant à 2-3 reprises avant d'arriver à démarrer. J'arrive pas à suivre cet espagnol (qui m'a encouragé en passant), mais je parviens à continuer à courir, ne marchant que sur les portions trop pentues ou trop rocheuses... que c'est long cette descente en foret, que c'est long, que c'est long, mais je m'accroche et j'ai presque le gout de la bière d'arrivée en bouche. Enfin j'arrive à Ordino, reste plus que 500m de plat et je vois dejà l'arche. C'est gagné ! Plein d'émotions remontent à mesure que l'arche d'arrivée grossit dans mon champ visuel... et sous les applaudissements de la foule, je franchis donc la ligne d'arrivée au bout de 19h32 Cool

 

missing image

  A l'arrivée de ce gros chantier, fatigué mais heureux

Quelques secondes après avoir passé la ligne, mes cuisses me rappellent violemment leur existence... je marche en canard et me dis que j'aurais de sacrés courbatures ces prochains jours. Je demande à un autre coureur de me prendre en photo avec le chrono course, puis je me jette sur la tireuse à bières du ravito...

L'organisation est vraiment parfaite, on m'explique où aller chercher mon tee-shirt finisher (300m à clopiner) et le spa-balnéo où je pourrais me doucher et profiter des saunas, hammam et autres jacuzzis (300m encore à clopiner). C'est trop bon, puis je profite du repas offert par l'organisation avec vin et bières à volonté Coquin (bon je me suis arrêté à 4, après çà aurait été de la gourmandise)...

En rejoignant ma voiture pour une petite sieste de 2h avant d'aller bivouaquer à l'arrache au col d'Ordino au dessus de la ville, j'ai beaucoup de pensées pour ceux encore en course que ce soit sur la celestrail, mais aussi sur l'ultra mitic ou la ronda des cims, chaque personne qui parcours ce chemin est victorieux. Donc si çà en intéresse certains, c'est vraiment une belle course avec une super ambiance et çà constitue un très bel objectif.

De plus, il n'est pas du tout impossible que je tente l'an prochain de monter sur l'Ultra Mitic (112km pour 9700m de D+) ou la Ronda del Cims (170km pour 13000m de D+) 

Un mot de Bonnie Blair (championne de patinage de vitesse) me parait parfaitement adapté comme conclusion :

"Gagner ne veut pas dire finir premier, gagner veut dire que vous avez fait de votre mieux"